Les entreprises face aux risques psychosociaux : une responsabilité juridique accrue

Dans un contexte de pression croissante au travail, les entreprises doivent désormais faire face à de nouvelles obligations légales pour prévenir les risques psychosociaux. Tour d’horizon des enjeux et des mesures à mettre en place.

Le cadre légal de la prévention des risques psychosociaux

La loi du 2 août 2021 relative à la santé au travail a renforcé les obligations des employeurs en matière de prévention des risques psychosociaux (RPS). Désormais, les entreprises doivent intégrer ces risques dans leur document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Cette évaluation doit prendre en compte les facteurs de risques liés à l’organisation du travail, aux relations sociales et aux conditions d’emploi.

Le Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L. 4121-1). Cette obligation générale de sécurité s’applique pleinement aux RPS. L’employeur doit mettre en œuvre les principes généraux de prévention énoncés à l’article L. 4121-2, notamment en adaptant le travail à l’homme et en planifiant la prévention.

L’identification et l’évaluation des risques psychosociaux

La première étape pour l’entreprise consiste à identifier et évaluer les RPS. Cette démarche doit être menée en associant les représentants du personnel, notamment le Comité social et économique (CSE) et la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). Les principaux facteurs de risques à prendre en compte sont :

– L’intensité et la complexité du travail : charge de travail, objectifs irréalistes, interruptions fréquentes

– L’autonomie au travail : marges de manœuvre, participation aux décisions

– Les rapports sociaux : soutien de la hiérarchie et des collègues, reconnaissance, justice organisationnelle

– Les conflits de valeurs : qualité empêchée, conflits éthiques

– L’insécurité de la situation de travail : précarité, changements non maîtrisés

Des outils comme des questionnaires, des entretiens ou des observations du travail réel peuvent être utilisés pour réaliser ce diagnostic. L’entreprise peut faire appel à des experts externes comme les services de prévention et de santé au travail.

La mise en place d’un plan de prévention

Sur la base de l’évaluation des risques, l’employeur doit élaborer un plan d’action visant à prévenir les RPS. Ce plan doit combiner des mesures de prévention primaire (agir sur les causes), secondaire (outiller les salariés) et tertiaire (prendre en charge les personnes en souffrance).

Parmi les actions de prévention primaire, on peut citer :

– La réorganisation du travail pour réduire la charge mentale

– L’amélioration de l’autonomie et des marges de manœuvre des salariés

– Le renforcement du soutien social et managérial

– La clarification des rôles et responsabilités

– L’amélioration de la communication interne

Les mesures de prévention secondaire peuvent inclure :

– La formation des managers à la prévention des RPS

– La sensibilisation des salariés

– La mise en place d’espaces de discussion sur le travail

– Le développement de pratiques de méditation ou de relaxation

Enfin, la prévention tertiaire passe par :

– La mise en place de procédures d’alerte et de signalement

– L’accompagnement des salariés en difficulté (cellule d’écoute, suivi médical renforcé)

– Le retour et le maintien dans l’emploi des personnes ayant subi un arrêt de travail lié aux RPS

Le suivi et l’évaluation des actions de prévention

La mise en œuvre du plan de prévention doit faire l’objet d’un suivi régulier. Des indicateurs pertinents doivent être définis pour mesurer l’efficacité des actions engagées. Ces indicateurs peuvent être :

– Quantitatifs : taux d’absentéisme, turnover, nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles

– Qualitatifs : enquêtes de climat social, baromètre qualité de vie au travail

Le CSE doit être associé à ce suivi, notamment dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise. Le plan de prévention doit être actualisé chaque année lors de la mise à jour du DUERP.

Les sanctions en cas de manquement

Le non-respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des RPS peut entraîner diverses sanctions :

– Sanctions pénales : l’article 223-1 du Code pénal réprime la mise en danger délibérée d’autrui (1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende)

– Sanctions civiles : l’employeur peut être condamné à verser des dommages et intérêts aux salariés victimes de RPS sur le fondement du manquement à l’obligation de sécurité

– Sanctions administratives : l’inspection du travail peut mettre en demeure l’employeur de remédier à une situation dangereuse et, en cas de non-respect, prononcer une amende administrative

La jurisprudence a par ailleurs consacré une obligation de sécurité de résultat à la charge de l’employeur. Celui-ci peut voir sa responsabilité engagée même en l’absence de faute de sa part, dès lors qu’un salarié est victime d’un dommage lié aux RPS.

Le rôle des différents acteurs de la prévention

La prévention des RPS implique la mobilisation de nombreux acteurs au sein de l’entreprise :

– La direction : elle définit la politique de prévention et alloue les moyens nécessaires

– Les managers : ils jouent un rôle clé dans la détection des situations à risque et l’application des mesures de prévention

– Le service des ressources humaines : il pilote la démarche de prévention et coordonne les actions

– Le CSE et la CSSCT : ils sont consultés sur la politique de prévention et participent à son élaboration

– Le médecin du travail : il conseille l’employeur et les salariés sur les mesures de prévention

– Les préventeurs internes : ils apportent leur expertise technique

Des acteurs externes peuvent aussi intervenir, comme les services de prévention et de santé au travail, l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) ou l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail).

Les enjeux futurs de la prévention des RPS

La prévention des RPS est appelée à évoluer pour faire face à de nouveaux défis :

– Le développement du télétravail, qui modifie les relations de travail et peut engendrer de nouveaux risques (isolement, hyperconnexion)

– L’impact des nouvelles technologies sur l’organisation du travail (intelligence artificielle, robotisation)

– La prise en compte des risques psychosociaux dans les petites entreprises, qui disposent de moins de moyens

– L’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, avec la question du droit à la déconnexion

– La prévention des RPS liés aux nouvelles formes d’emploi (plateformes numériques, travail indépendant)

Face à ces enjeux, les entreprises devront faire preuve d’innovation et d’agilité dans leurs démarches de prévention. La formation des managers et la sensibilisation de l’ensemble des salariés resteront des leviers essentiels pour créer une véritable culture de prévention des RPS.

Les obligations des entreprises en matière de prévention des risques psychosociaux se sont considérablement renforcées ces dernières années. Au-delà du cadre légal, la prévention des RPS représente un véritable enjeu de performance et de responsabilité sociale pour les organisations. En adoptant une approche globale et participative, les entreprises peuvent créer un environnement de travail plus sain et plus épanouissant pour leurs collaborateurs.